A Tale of Two Arbitration Cities No. 1 - London

Cour suprême du Royaume-Uni, UniCredit GmbH v. RusChemAlliance LLC, Décisiondu 23 avril 2024

Contexte

RusChemAlliance (« RCA »),une société de droit russe, a conclu deux contrats avec Linde Engineering, une société allemande, pour la construction d'infrastructures gazières en Russie(les « Contrats »). Aux fins de l'exécution de ce Contrat, UniCreditGmbH (« UniCredit »), une banque de droit allemand avec des actifs en Russie, a émis des garanties en faveur de RCA (les « Garanties »).

Toutes ces Garanties comportaient les deux clauses suivantes : une clause prévoyant le droit anglais comme droit applicable à la Garantie et une clause compromissoire aux termes de laquelle les litiges issus de cette Garantie devaient être résolus par un tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI et siégeant à Paris.

A la suite des nouvelles sanctions imposées par l’Union Européenne envers les entités russes depuis février 2022, Linde Engineering a suspendu l'exécution des Contrats.

En réaction, RCA a mis fin aux Contrats indiquant comme motif la violation par Linde Engineering de ses obligations contractuelles, et a réclamé la mise en œuvre des Garanties, ainsi que des dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la résolution.

Suite à la résolution des Contrats, RCA a appelé ses Garanties auprès de UniCredit, qui a refusé le paiement suite aux sanctions européennes envers les entités russes.

Le 5 août 2023, RCA a saisi la Cour d’Arbitrazh de Saint Petersbourg (la « Cour d’Arbitrazh ») afin de contester la validité du refus de paiement des Garanties par UniCredit, et obtenir le paiement desdites Garanties. En Russie, les Cours d’Arbitrazh sont des cours fédérales dotées d’une compétence spéciale pour régler les litiges économiques et tout autre litige leur étant attribué par la constitution russe.Devant la Cour d’Arbitrazh, RCA a fait valoir que (i) les sanctions européennes invoquées par UniCredit violaient l’ordre public russe et ne pouvaient donc pas justifier le non-paiement, et (ii) la clause compromissoire contenue dans les Garanties ne pouvait pas être mise en œuvre sous l’empire du droit russe.

Le 22 août 2023, UniCredit a saisi le juge anglais d’une demande d’anti-suit injunction afin d’empêcher RCA de poursuivre sa procédure devant la Cour d’Arbitrazh.

De son côté, la Cour d’Arbitrazh, a accueilli la demande de RCA et a confirmé sa compétence pour connaître de l’affaire sur le fondement de l'Article 248.1 du Code de procédure d'arbitrage russe. Cette disposition confère aux Cours d’Arbitrazh russes une compétence exclusive pour connaître des litiges liés aux sanctions, et ce malgré l'existence d’une clause compromissoire. Toutefois, ayant eu connaissance de l’affaire portée devant les juridictions anglaises, la Cour d’Arbitrazh a suspendu la procédure russe jusqu’à ce que les juges anglais aient pu se prononcer sur l’appel du rejet de la demande d’anti-suit injunction.

Procédures devant les juridictionsanglaises

Le 24 août 2023, UniCredit a obtenu de la High Court anglaise une injonction provisoire ex parte ordonnant à RCAde mettre fin à la procédure russe.

Par la suite, lorsqu’elle s’est prononcée sur la demande d’anti-suit injunction de manière définitive, la High Court est revenue sur sa décision initiale et a rejeté la demande d’UniCredit au motif que le choix de Paris comme siège de l’arbitrage dans les Garanties, induisait que la clause compromissoire était soumise au droit français. Dès lors, selon la High Court, les juridictions françaises, et non anglaises, étaient compétentes pour trancher la demande d’UniCredit. Or, les parties devaient être au fait de la teneur du droit français et du fait que celui-ci ne permet pas d’accorder des anti-suit injunctions.

UniCredit a interjeté appel de cette décision. Le 2 février 2024 ([2024] EWCA Civ 64), la Cour d’Appel a infirmé la décision de la High Court.

La Cour d’appel a constaté que la loi applicable aux Garanties ainsi qu’aux clauses compromissoires était la loi anglaise, en dépit de l’accord des Parties pour que Paris soit le siège de l’arbitrage. En effet, se fondant sur la jurisprudence Enka c. Chubb ([2020] UKSC 38), la Cour d’appel a indiqué que par principe, en l’absence de choix des parties quant à la loi applicable à la clause compromissoire, la loi applicable au contrat choisie parles parties s’appliquerait aussi à sa clause compromissoire. Une telle présomption peut être renversée en faveur de la loi du siège de l’arbitrage en présence de certains facteurs tels qu’une indication dans la loi du siège que la clause compromissoire doit être régie par ce droit, ou l’existence d’un risque sérieux que la clause compromissoire soit sans effet si elle est régie par le droit applicable au contrat qui la contient.

En l’espèce, la Cour d’appel a noté qu’aucun des facteurs précités n’était réuni et qu’en présence d’un choix de loi applicable au contrat en vertu du droit anglais, la clause compromissoire contenue en son sein devait également être régie par ce droit.

La Cour d’appel a ainsi retenu sa compétence pour octroyer une demande d’anti-suit injunction puisque (i)les juridictions et le droit anglais considèrent qu’il est dans l’intérêt de la justice de permettre l’octroi d’anti-suit injunctions, et (ii) les juridictions françaises ne permettent pas d’octroyer de telles injonctions, contrairement aux cours anglaises, mais les reconnaissent.

Décision de la Cour Suprême

RCA n'a pas été autorisée à interjeter appel de l’intégralité de la décision devant la Cour suprême du Royaume-Uni.Toutefois, elle a pu le faire s’agissant de deux questions portant sur la compétence, à savoir :

-       le choix du siège de l'arbitrage peut-il impliquer que laloi applicable à la clause compromissoire soit celle du pays dans lequel le siège est situé ? ; et

-       UniCredit avait-elle raison de recourir aux juges anglais ?

Le 23 avril 2024, la Cour suprême a confirmé l’arrêt de la Cour d'appel en maintenant l’anti-suit injunction. Bien que la Cour suprême doive encore rendre un jugement écrit motivé, sa décision,rendue oralement (v. [Lien vers le délibéré de la Cour Suprême : https://www.supremecourt.uk/watch/uksc-2024-0015/decision.html]) confirme que :

-       La localisation du siège de l'arbitrage dans une juridiction étrangère telle que Paris n'implique pas nécessairement que le droit applicable à la clause compromissoire soit celui de cette même juridiction étrangère.

-       Lorsque la clause compromissoire prévoit un siège hors du Royaume-Uni,et que le droit anglais gouverne le contrat en cause, la juridiction anglaise est compétente pour décider de l’octroi d’une anti-suit injunction. Cela est,dans le cas d’espèce, justifié par le fait que si les tribunaux français n’ont pas le pouvoir d’accorder de telles injonctions, ils les reconnaissent lorsqu’elles sont prononcées par des juridictions étrangères (dans les conditions prévues par le droit français afférent à la reconnaissance des décisions juridictionnelles étrangères).

Cette position des juridictions anglaises pourrait toutefois changer à l’issue de la réforme prochaine de l’Arbitration Act anglais. Dans sa version actuelle, le projet de loi prévoit que la clause compromissoire sera régie par le droit du siège sauf en cas d’accord contraire des parties ou si la procédure a été initiée avant l’entrée en vigueur de la réforme. On peut toutefois prévoir que cette réforme entrainera, à tout le moins, une diminution du nombre d’anti-suit injunctions accordées par les cours anglaises dans des affaires où le siège de l’arbitrage est situé en dehors du Royaume-Uni.

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