A Tale of Two Arbitration Cities No. 1 - London

Cour suprême du Royaume-Uni, UniCredit GmbH v. RusChemAlliance LLC, Arrêt du 18 septembre 2024

Contexte

RusChemAlliance (« RCA »), une société de droit russe, a conclu deux contrats avec Linde Engineering, une société allemande, pour la construction d'infrastructures gazières en Russie (les« Contrats »). Aux fins de l'exécution de ce Contrat, UniCredit GmbH (« UniCredit »), une banque de droit allemand avec des actifs en Russie, a émis des garanties en faveur de RCA (les « Garanties »).

Toutes ces Garanties comportaient les deux clauses suivantes: une clause prévoyant le droit anglais comme droit applicable à la Garantie et une clause compromissoire aux termes de laquelle les litiges issus de cette Garantie devaient être résolus par un tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI et siégeant à Paris.

A la suite des nouvelles sanctions imposées par l’Union Européenne envers les entités russes depuis février 2022, Linde Engineering a suspendu l'exécution des Contrats.

En réaction, RCA a mis fin aux Contrats indiquant comme motif la violation par Linde Engineering de ses obligations contractuelles, et a réclamé la mise en œuvre des Garanties, ainsi que des dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la résolution.

Suite à la résolution des Contrats, RCA a appelé ses Garanties auprès de UniCredit, qui a refusé le paiement suite aux sanctions européennes envers les entités russes.

Le 5 août 2023, RCA a saisi la Cour d’Arbitrazh de Saint Petersbourg (la « Cour d’Arbitrazh ») afin de contester la validité du refus de paiement des Garanties par UniCredit, et obtenir le paiement desdites Garanties. En Russie, les Cours d’Arbitrazh sont des cours fédérales dotées d’une compétence spéciale pour régler les litiges économiques et tout autre litige leur étant attribué par la constitution russe. Devant la Cour d’Arbitrazh, RCA a fait valoir que (i) les sanctions européennes invoquées par UniCredit violaient l’ordre public russe et ne pouvaient donc pas justifier le non-paiement, et (ii) la clause compromissoire contenue dans les Garanties ne pouvait pas être mise en œuvre sous l’empire du droit russe.

Le 22 août 2023, UniCredit a saisi le juge anglais d’une demande d’anti-suit injunction afin d’empêcher RCA de poursuivre sa procédure devant la Cour d’Arbitrazh.

De son côté, la Cour d’Arbitrazh, a accueilli la demande de RCA et a confirmé sa compétence pour connaître de l’affaire sur le fondement de l'Article 248.1 du Code de procédure d'arbitrage russe. Cette disposition confère aux Cours d’Arbitrazh russes une compétence exclusive pour connaître des litiges liés aux sanctions, et ce même en présence d’une clause compromissoire. Toutefois, ayant eu connaissance de l’affaire portée devant les juridictions anglaises, la Cour d’Arbitrazh a suspendu la procédure russe jusqu’à ce que les juges anglais aient pu se prononcer sur l’appel du rejet de la demande d’anti-suit injunction.

Procédures devant les juridictions anglaises

Le 24 août 2023, UniCredit a obtenu de la High Court anglaise une injonction provisoire ex parte ordonnant à RCA de mettre fin à la procédure russe.

Par la suite, lorsqu’elle s’est prononcée sur la demande d’anti-suit injunction de manière définitive, la High Court est revenue sur sa décision initiale et a rejeté la demande d’UniCredit au motif que le choix de Paris comme siège de l’arbitrage dans les Garanties, induisait que la clause compromissoire était soumise au droit français. Dès lors, selon la High Court, les juridictions françaises, et non anglaises, étaient compétentes pour trancher la demande d’UniCredit. Or,les parties devaient être au fait de la teneur du droit français et du fait que celui-ci ne permet pas d’accorder des anti-suit injunctions.

UniCredit a interjeté appel de cette décision. Le 2 février 2024 ([2024] EWCA Civ 64), la Cour d’Appel a infirmé la décision de la High Court.

La Cour d’appel a constaté que la loi applicable aux Garanties ainsi qu’aux clauses compromissoires était la loi anglaise, en dépit de l’accord des Parties pour que Paris soit le siège de l’arbitrage. En effet, se fondant sur la jurisprudence Enka c. Chubb ([2020] UKSC 38), la Cour d’appel a indiqué que par principe, en l’absence de choix des parties quant à la loi applicable à la clause compromissoire, la loi applicable au contrat choisie par les parties s’appliquerait aussi à sa clause compromissoire. Une telle présomption peut être renversée en faveur de la loi du siège de l’arbitrage en présence de certains facteurs tels qu’une indication dans la loi du siège que la clause compromissoire doit être régie par ce droit, ou l’existence d’un risque sérieux que la clause compromissoire soit sans effet si elle est régie par le droit applicable au contrat qui la contient.

En l’espèce, la Cour d’appel a noté qu’aucun des facteurs précités n’était réuni et qu’en présence d’un choix de loi applicable au contrat en vertu du droit anglais, la clause compromissoire contenue en son sein devait également être régie par ce droit.

La Cour d’appel a ainsi retenu sa compétence pour octroyer une demande d’anti-suit injunction puisque (i) les juridictions et le droit anglais considèrent qu’il est dans l’intérêt de la justice de permettre l’octroi d’anti-suit injunctions, et (ii) les juridictions françaises ne permettent pas d’octroyer de telles injonctions, contrairement aux cours anglaises, mais les reconnaissent.

Décision de la Cour Suprême

RCA n'a pas été autorisée à interjeter appel de l’intégralité de la décision devant la Cour suprême du Royaume-Uni.Toutefois,elle a pu le faire s’agissant de deux questions portant sur la compétence, à savoir :

- le choix du siège de l'arbitrage peut-il impliquer que la loi applicable à la clause compromissoire soit celle du pays dans lequel le siège est situé ? ; et

- UniCredit avait-elle raison de recourir aux juges anglais ?

Le 23 avril 2024, la Cour suprême a confirmé l’arrêt de la Cour d'appel en maintenant l’anti-suit injunction (v. Lien vers le délibéré de la Cour Suprême : https://www.supremecourt.uk/watch/uksc-2024-0015/decision.html).

Par un jugement motivé rendu le 18 septembre 2024 (v. Lien vers le jugement de la Cour Suprême : https://www.supremecourt.uk/cases/docs/uksc-2024-0015-judgment.pdf),la Cour Suprême confirme les points exposés ci-après.

Premier point: Le fait que le siège de l'arbitrage soit à l’étranger n'emporte pas automatiquement application du droit étranger à la clause compromissoire

Sur ce point, la Cour Suprême a réitéré la nécessité d’avoir une règle simple et claire (para. 50) ce qui n’est pas le cas de la règle selon laquelle il faut étudier la loi du siège de l’arbitrage pour déterminer la loi applicable à la clause compromissoire (para. 55).

De plus, la Cour Suprême indique que le fait d’essayer de déterminer artificiellement l'existence et la teneur d'un accord des Parties sur la loi applicable à la clause compromissoire, lorsque celles-ci n’en n’ont pas fait état n’a pas de sens et que dès lors, dans un tel scenario, il faut déterminer la loi applicable à la clause compromissoire comme si les Parties n’avaient pas opéré de choix sur ce point (para. 58).

Dès lors, la Cour retient qu’au travers des principes d’interprétation du droit contractuel Anglais qui est la loi du for, il faut retenir le droit anglais comme droit applicable à la clause compromissoire (para. 63).

Cette position des juridictions anglaises pourrait rapidement changer suite à la réforme en cours de l’Arbitration Act anglais. En effet, dans sa version actuelle, le projet de loi prévoit que la clause compromissoire sera régie par le droit du siège sauf en cas d’accord contraire des parties ou si la procédure a été initiée avant l’entrée en vigueur de la réforme.

Second point: Les juridictions anglaises sont compétentes pour décider de la demande d’anti-suit injunction

Dans un premier temps, la Cour note que contrairement à ce que les Parties ont soutenu, le test du forum non conveniens (Spiliada Maritime Corp v. Cansulex Ltd [1987]), n’est pas applicable en l’espèce puisqu’il ne s’agit pas d’une question de détermination du for compétent au fond (paras. 73-75).

Puis, la Cour note que le test applicable pour déterminer si les cours anglaises peuvent décider d’une demande d’anti-suit injunction en l’espèce, revient à déterminer si permettre une telle compétence serait conforme à la courtoisie internationale en prenant en compte notamment l’existence d’un intérêt ou un lien suffisant avec l’objet du litige (para. 77). La Cour retient que c’est le cas ici puisque les droits objets du litige sont soumis au droit anglais (para. 83).

Ensuite, la Cour rappelle la nécessité de respecter les clauses compromissoires (para. 84). Elle retient ainsi que pour préserver l’efficacité d’une clause compromissoire il ne faut pas l’interpréter comme interdisant une partie de demander à une juridiction étatique les mesures nécessaires pour obliger l’autre parties à respecter le contrat ou venir au soutien de la procédure arbitrale (para. 85). Les anti-suit injunctions font partie de ces mesures étatiques (para. 87-88).

Également, après avoir rappelé que les cours du siège de l’arbitrage ont uniquement un pouvoir de supervision limité (para. 87), la Cour Suprême note qu’en l’espère aucun arbitrage n’a commencé et qu’il revient uniquement à la Cour de déterminer si les juges anglais peuvent, ou non, contraindre RCA d’arrêter les procédures en cours en Russie (para. 98).

La Cour conclut que les juges anglais sont compétents pour décider de la demande d’anti-suit injunction au titre de la compétence générale en équité (para. 99), ce qui est d’autant plus renforcé par le fait que les cours françaises ne pourront pas être saisies d’une demande similaire,puisque cette mesure ne peut pas être ordonnée par un juge français (para. 101).

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